J’aime m’amuser, ça n’est certainement pas un secret. C’est sûr. En général, les miens évitent de se coller deux grammes d’alcool dans le sang avec des humains. Personnellement, je ne vois pas le problème. Je ne déraille pas et ne me mets pas à parler à tout va de ce que nous sommes. Attention… il y en avait des comme ça, mais pas moi. Ciné, billard, match de basket improvisé, tournoi d’escrime amateur, bowling, sorties, … Je suis de toutes les occasions de s’amuser même si ça veut dire courir nu pour sauter dans le lac. Je suis même prêt à faire une partie de cricket si ça vire à du grand n’importe quoi. Avouez que vous avez toujours rêvé de faire une partie de cricket à poil même si ce sport est vraiment très anglais… Mais passons.
Certaines de ces activités m’ont valu quelques ennuis avec mes supérieurs. Je suis donc officiellement prié de ne plus participer à certains de ces passe-temps. Ce qui veut dire… que j’y participe de façon plus discrète, cela va de soi.

Quand il s’agit de travail, c’est une autre histoire. Je suis quand même prof, il ne faut pas l’oublier. Je suis sérieux, non sans une certaine pointe d’humour, je dois bien le reconnaître. J’essaie de faire en sorte que mes cours ne soient jamais ennuyeux ou répétitifs. Et pour la bande de p’tits malins qui pensent récupérer les cours des anciens, n’y comptez pas, je change mes cours régulièrement. J’ai constaté que ça avait un effet bénéfique sur la concentration. Si je remarque que je perds ma classe en cours de route, je place une blague stupide que j’ai entendue de la bouche d’un de mes étudiants. À tous les coups, c’est carton plein, surtout quand je cite le nom de l’élève en question. Allez savoir pourquoi les mauvaises blagues rendent services à leur propriétaire… Je me le demande encore !

En privé, je suis un homme normal. Petits tracas quotidiens, frigo vide, pâtes trop cuites, tâche sur la cravate propre du matin, robinet qui fuit et j’en passe. Comme tout le monde. Je suis un mec normal. Normal ou presque, parce que je suis quand même un marcheur ley et j’aime en profiter de temps en temps pour aller surfer sur les meilleures vagues ou encore aller skier sur les meilleurs montagnes. Je suis un bout en train.
Mais quand je parlais de priver, je suppose que ça n’était pas ça que vous auriez aimé entendre. Alors allons-y pour les potins ! Parlons d’amitié et d’amour…
En amitié, je suis un ami loyal, un ami fidèle. J’aurais pu être un chien, sans déconner. Mes amis, c’est ce qu’il y a de plus précieux. Bon, comme tout le monde, si on me fait un sale coup, je réagis et mes amis n’y coupent pas. La confiance, ça se mérite et en cas de mauvaise surprise, je la reprends vite.
En amour, c’est un poil plus compliqué. Je suis maladroit, maladroit à l’extrême, c’en est handicapant. Vraiment. Mon cerveau se déconnecte et c’est la mort cérébrale. Mon corps se met à faire n’importe quoi, coordination zéro, ainsi que l’effet produit. Du grand art. Je ne suis pas doué. J’ai aimé pourtant, pas plus que les autres mais pas moins que les autres. Bon, j’ai certes l’avantage de ne pas être restreint par le sexe. Homme, femme… Je ne suis pas difficile, d’autant plus qu’elfe ou pas, je ne m’en formalise pas non plus. Bref, j’ai le choix. Je ne suis juste… pas doué. Fin de la discussion.

Comme je l’ai dit, je suis un homme normal avec ses tracas quotidiens, qui aime le café le matin, qui dort en chaussettes et en pyjama l’hiver parce qu’il est frileux, qui est incapable de faire cuire correctement un œuf, qui a une technique d’enfer au billard, qui gère le club d’escrime et qui de temps en temps, se paie du bon temps dans un pays étranger.

Si mes souvenirs sont bons… Je crois que les mots exacts de Verity étaient : « Monsieur Kirvs-Destyl, il faudra vous en tenir au cadre strictement professionnel. Vous n’êtes pas ici pour donner votre avis à vos élèves elfes. Quant à vos élèves humains, vous ne les entretiendrez que de la symbolique humaine. Est-ce clair ? ». C’était clair… Sauf que bien entendu, je ne pus me retenir deux secondes. « Rapport au secret, tout ça… Il ne faudrait pas plutôt m’appeler O’Sullivan ? C’est que de nos jours, les élèves sont curieux… v’voyez ? » J’eus droit à un regard dur mais cependant légèrement amusé. Ouf… La nièce de la famille Myden-Autt avait de l’humour… Il ne fallait pas désespérer.
Mais en vous racontant ça, je vais vite en besogne. Avant cette conversation mémorable avec Verity, notre directrice, il s’en est passé des choses… Alors c’est parti, allons reluquer ma vie.

Je suis né à Antrim, je parle ici de la ville, pas du comté. Techniquement, je suis né en territoire humain. En théorie, je suis bel et bien né en territoire elfe. En géographie politico-elfique, je suis une bille. Mes parents m’ont dit que je suis né en territoire elfe, c’est que c’est vrai. De toute façon, ça ne change rien. Ce qui compte c’est l’allégeance et à cet âge-là… l’allégeance, c’est un mot compliqué plein de syllabes imprononçables, tout comme imprononçable d’ailleurs. C’est assez amusant. Mais je m’égards.
Né à Antrim le premier décembre de l’année mille neuf cent quatre-vingt huit à trois heures trente-sept du matin. Nommé Erlin, merci grand-père ; Seth, merci maman ; O’Sullivan, nom de famille usuel ; Kirvs-Destyl, parce que ça, c’est mon vrai nom de famille et je n’ai pas d’explication.

Je vous fais l’impasse très généreuse sur ma petite enfance. De toute façon, c’est chiant, tout le monde s’en fout, sauf mes parents. Non, ce qu’il y a de drôle chez les elfes, c’est la manifestation première de leur capacité. J’étais vraiment très jeune quand c’est arrivé. J’avais quatre ans. Très tôt. Trop tôt, ont maugréé certaines mauvaises langues. Ma capacité ? Je suis un marcheur ley ou pour appeler ça vulgairement… Je suis un téléporteur.
Assis sur les marches de l’escalier, à bouder pour les anciens seuls savaient quoi, ma capacité m’est venue d’un seul coup. On suppose que j’avais voulu être ailleurs et que ça avait suffi. De moi, on ne retrouva que les vêtements sur l’escalier. Mes parents durent faire appel à un pisteur et à un autre marcheur. Je ne pouvais me rendre invisible, c’était donc que j’étais ailleurs. On me retrouva sur les genoux de mon grand-père. Pragmatique, le vieux bonhomme ne s’était pas inquiété outre mesure et en avait profité pour passer du temps avec moi, son petit fils préféré, mais il m’avait aussi rhabillé. Ma mère a crié, mon père a grogné, ma sœur a souri, mon grand-père a ri. Ce soir-là, ils ont fêté ça avec le pisteur et l’autre marcheur. Moi, j’ai roupillé comme un diable sur les genoux de mon grand-père.

Je vous passe la partie la moins amusante, l'école à domicile. Comme tous les gamins, ça ne me plaisait pas mais c'était nécessaire. J'étais incapable de contrôler ma capacité comme il se doit. Résultat, mon grand-père me retrouva chez lui alors que ma mère était censé me donner la classe au même moment. Ce qu'elle faisait. C'était sans compter sur ma mauvaise volonté manifeste. Cependant qui dit mauvaise volonté, ne veut pas dire que je ne faisais rien de bon. Je savais que c'était important, enfin... Dans la mesure où je cernais ça à cet âge-là. Ce que je comprenais, c'est qu'il fallait que je contrôle ma capacité pour pouvoir aller à l'école avec les autres enfants et m'amuser avec eux. Elfes ou pas, ils avaient mon âge et c'était bien plus amusant que de rester enfermé avec ma mère.
Finalement, je finis par me maîtriser avec l'aide de ma sœur. Ma sœur qui m'aidait bien souvent à remettre un peu d'ordre dans ma tête et mes priorités, déjà à cet âge-là. Dans le fond, j'étais le gamin qui n'en faisait qu'à sa tête mais qui rendait ses parents fiers alors à quoi bon faire autre chose ? Je voulais faire plaisir, je voulais plaire.
Tout cela a pris du temps bien entendu, ça n'est pas arrivé du jour au lendemain. Il n'empêche que dès que j'en eus la possibilités, je rejoignis ce monde d'humains et d'elfes mêlés. Dire qu'ils ne se doutaient de rien. Cela m'amusait. Le mot d'ordre était bien évidement de passer inaperçus, de ne pas nous révéler.

Ce n'est que bien plus tard que mon peuple décida d'ouvrir un peu plus ses terres. J'avais déjà prêté allégeance à cette époque, j'avais déjà commencé à fuir les relations sérieuses du reste. Mais là... cette possibilité de faire partie de quelque chose de plus grand que moi... Je ne pouvais pas éviter de prendre part à tout ça. J'étais professeur, ce qui en avait surpris plus d'un, c'est pourquoi j'avais sauté sur l'occasion. Un peu pour prouver que j'étais capable d'être responsable.
D'accord, d'accord... c'était surtout pour montrer à ma sœur qu'elle se trompait à mon sujet et que j'étais parfaitement apte à mener ma barque dans la vie sans avoir besoin de son secours systématique, ce qu'elle semblait se sentir obligée de faire.

Quelques semaines plus tard, Verity Gallagher me convoquait pour discuter de mon aptitude à donner des cours et à garder nos secrets. Secrets que je me jurais de garder.
Tout ça était presque d'une simplicité enfantine... jusqu'à ce qu'elle débarque. Cette étudiante de vingt-six ans, Estrella Butler. Presque mon âge, de retour à l'école, elle n'avait certainement pas besoin de cours de contrôle quant à mon cours de symbolique, j'avais des doutes. Mais voilà, têtue, elle... et bien elle me poursuit, me coince dès qu'elle le peut, me fait du gringue et moi je fuis. Je fuis parce que ça n'est pas très éthique mais aussi parce que c'est une habitude et puis, il y a des bruits qui courent... Des rumeurs à propos d'une allégeance de confort et je n'aime ni la politique, ni les ennuis.
Bref... Tout se complique.