« Non. » Comprenez « J'vais réfléchir. ». Admettez « Oui, bien sûr! ». Voilà. Il est froid, direct, peu bavard, absolument pas démonstratif, distant... Alors qu'est-ce qui le rend si populaire? Mystère. Chaque année les élèves sont de plus en plus nombreux à se manger un :
- Vous êtes comme Légolas, en fait?
- La blondasse? Sérieusement? Tu refais 50 volées.
- Mais...
- Tu contestes? 60.
- Non je ne conteste p...
- Tu discutes? 70.
- Je... d'accord.
C'est douloureux. Très. Tant pour les bras que pour l'égo. Mais il sait ce qui amène à l'excellence et sa rigueur justifie sans mal son manque total de compassion auprès de ses élèves. Enfin c'est ce qu'ils voient. Mais ils savent tous pertinemment, au fond, que les rares sourires qu'il s'autorise sont plus gratifiant qu'une médaille, un prix ou un titre. Il ne faut donc jamais s'arrêter à la (face émergée de) l'iceberg. Devon est certes d'une insensibilité apparente sans nom... mais que personne ne tache de faire de mal à ses petits... En résumé : souffrez, endurez, prenez, mais cessez de vous demander pourquoi vous aimez. Vous n'êtes pas masochistes, juste suffisamment ouverts pour en rire!

Aujourd'hui dans « Les conseils de drague de l'oncle Devon! », votre héros teste « Le Supermarché! », on l'applaudit bien fort! … Et on désespère bien fort.
- C'est un caddie de célibataire.
Voilà. C'est avec cette phrase que l'avait abordé un petit poisson pouffique, dans des écailles en sky mi-cuisse, un pull en 34 fillette et un maquillage à la truelle. Il se contenta d'un demi-sourire, persuadé que s'il dévoilait ses dents ce serait pour la mordre. S'il répondait, elle s'acharnerait. Ou l'inverse.
- Vous êtes libre?
- Comme l'air.
- Ça donne bien envie de l'emprisonner...
- Contentez vous de continuer à le brasser.
Ça, c'est fait. Pourquoi diable épiloguer? De toute façon il resterait seul... Enfin pas tout à fait... Il avait ses livres... Ses bons p'tits plats... Un jean... Des fruits... et sous une tonne d'autres articles... une licorne en peluche.
- C'est tellement viril...
- La ferme, Jessy.
- Comment va-t-elle?
- Bien.
Son chariot était à l'image de sa vie. Un vieux pote croisé pas tout à fait au hasard, des femmes repoussées les unes après les autres, des petits détails ensevelis sous ce qu'il voulait bien montrer.
Marginal? Peut-être un peu... Un esprit brillant, des réflexes, de l'humour... Il parlait neuf langues dont six couramment, parcourait le monde encore quatre ans auparavant, conservait un millier de fois plus de secrets qu'un être ne pouvait en garder, et il avait choisi de vivre d'un modeste salaire de professeur de tir à l'arc...
Un frigo plein, une belle petite maison, un jardin entretenu... 37 ans et le comportement d'un homme de 75... Sa musculature, sa silhouette athlétique, son regard perçant, tout trahissait pourtant un esprit qui tournait encore vite et bien. Pendant longtemps, ses services avaient profité à un prestigieux cabinet de détective privé dont la notoriété se devait surtout la sienne. Il avait traqué pendant quinze années, d'abord en parallèle de ses études puis à temps plein, les enfants perdus, enlevés, fugueurs... Puis effectué quelques missions pour la protection des témoins, la division le jugeant habile pour se mettre à la place d'un éventuel tueur à la recherche de leurs clients. La division? Jessy, justement. Un ami de longue date qui disparaissait comme il apparaissait. Toujours en train de refiler des enveloppes « juste au cas où »... des enveloppes pleines de photos, de missions, d'affaires plus ou moins impossibles à résoudre, juste au cas où il s'ennuierait...
- Je suis à la retraite.
- Et moi j'suis un chien de traineau.
- Dis « woof » pour voir?
- Ahah... Jette un coup d'œil. Ça ne coûte rien.
- Non.
Le commandant sourit. Il releva sa carcasse du canapé défoncé et kidnappa une petite canette de jus d'orange alors que le soi-disant retraité poursuivait son méthodique rangement de commissions.
- Il serait temps que tu te mettes à l'alcool.
- Tu n'repartirais plus.
Il ne releva pas. Les deux hommes nourrissaient une amitié de longue date basée tant sur la confiance et le respect que sur les vannes et une fausse inimitié bien mal imitée. Deux frères.
Belfast connut leurs premiers pas et leurs deux familles et leurs sept écoles. Renvoyés à plusieurs reprise pour arnaque organisée, personne n'aurait alors juré qu'ils choisiraient le bon côté de la loi! Ils se souvenaient de leurs tours pour racketter les racketteurs. Récupérer l'argent, les goûters, les vêtements... Sauf qu'un jour ou l'autre, c'est le gentil qui se fait prendre. Et c'est au méchant qu'on fiche la paix. Devon et Jessy comprirent très tôt ce que la réputation d'un homme pouvait ajouter à leur cause... Leur répartie s'affutait chaque jour davantage. Leur conception de la justice libre dut jongler avec les valeurs incontournables pour ne pas se faire prendre. Un charme magnétique les auréola petit à petit jusqu'à en faire les hommes d'aujourd'hui.
Leur coopération pour la recherche et les petites missions annexes donnait à leur vie un style de buddy movie comme l'on en réussissait peu. Mais la vie, justement, décida de mettre fin à leur collaboration pourtant si efficace... Un tournant dans la vie de Devon redistribua les cartes... Il avait été sollicité par un client venu au cabinet pour retrouver une enfant de deux mois. La police ayant a priori cessé d'enquêter dans le cadre du flagrant délit. Ce genre de requête était loin d'être rare. Arrive un moment où l'on continue à chercher mais où l'on renvoit les hélicoptères au hangar... Sauf qu'en temps normal, le chemin débouche sur des parents meurtris ou rassérénés, pas morts assassinés. En creusant bien au-delà du temps imparti pour les honoraires, son intuition rempila pour une énième saison de « J'ai toujours raison! »! Rhaaa... Tant pis. On lui avait demandé de retrouver la gamine, il allait la rendre! … Non... Il ne le sentait pas duuu tout, ce soit disant cousin de son père... Mais en même temps il ne la connaissait pas, cette gosse... Il avait été payé pour ça et... Non. Non non non non non. Définitivement il ne pouvait pas... Et puis si c'était pour la rechercher dans un an... Remarque, il serait bien payé pour le faire... Et si elle mourrait, elle aussi? … Et c'est sur une nuit de tergiversations en tout genre que Devon enquêta sur le commanditaire mystère... Et la journée suivante, il rempila sur la protection de témoin. Eh oui... Wendy avait échappé au massacre de sa famille parce qu'elle dormait à l'étage et que personne n'avait eu la bonne idée d'aller voir. Une bonne étoile veillait sur elle. Une étoile qui s'appelait Jessy. Il avait été appelé sur les lieux du crime juste parce qu'il était de permanence ce soir-là. Il avait appelé les services sociaux et la petite avait disparu lors du transfert. Le pseudo-cousin avait débarqué. Les deux amis opérèrent un rapprochement. Ils comprirent aussi très vite que quelque chose de bien plus gros qu'eux se tramait. Les parents de Wendy occupaient un poste important : elle dans un consulat, lui dans l'anti-terrorisme. Suffisamment sensible pour obtenir de vrais faux papiers et effacer leurs traces. Jessy avait une femme et deux enfants. Devon ne manquerait à personne. Il avait accepté sans une once d'hésitation.
- J'veux pas d'gamin.
- Dev... 
- Non.
- Et son chien.
- Ah certainement pas!
C'est ainsi que la famille Cahill naquit. Devon, Wendy... et Doug.
Il rejoignit son vieux frère sur le canapé. Il ne savait pas quoi dire. Effectivement, sa vie aventureuse et sans attache avait vite volé en éclat... Mais une aventure naissait souvent d'une autre...
- Tu sais très bien que j'ai du mal avec ce rôle.
- Tu t'en sors très bien!
- Je te la vends, si tu veux.
- Ne te fais pas plus dur que tu ne l'es. Garde ton sadisme pour tes élèves, ceux qui en redemandent.
- Je t'assure que je peux la mettre dans un carton la veille de Noël et la faire adopter par qui je veux.
- Oui... Bien sûr... Tu savais qu'à son âge elle pouvait déjà avoir croisé son futur premier petit copain?
- QUOI?! Hrm... Et alors?
- Ahahah!
Des petits pas mal assurés descendirent l'escalier, trainant par les oreilles un doudou déjà bien courageux... La babysitter salua et disparut. Wendy crapahuta jusqu'aux genoux de l'anti-paternalisme incarné (arhem)... Il feint le désintéressement total mais ne tint pas une demi-seconde avant de l'accueillir.
- Une vraie terreur...
- Je lui apprendrai à ce servir d'un arc avant de connaître « Au Clair de la Lune ». Et à faire une bombe. Et à démarrer une voiture sans clef. Et hacker un ordinateur. Et à arnaquer des gens. Et...
- T'as déjà de grands projets pour elle. C'est touchant.
- Dégage.
- Tu viens voir Tonton Jessy?
- Zessy!
- Traitresse.
- Woooof!
- Heureusement que t'es là, mon vieux...
- Woof.